
Ces influences invisibles qui nous manipulent
L’influence a un impact sur notre comportement. Celle des autres influe sur la façon dont nous nous habillons, sur la musique que nous écoutons ou encore sur les décisions que nous prenons. Nos actions, nos pensées et nos goûts sont modelés par autrui, mais il est possible de mieux contrôler ces influences, grâce à l’analyse de ce processus.
À propos de l’auteur
Jonah Berger est professeur de marketing à la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie. Il a été récompensé par plusieurs distinctions académiques, pour ses recherches et son travail en tant qu’enseignant. Il écrit pour de nombreux magazines, dont notamment le New York Times ou encore Wired. Mr Berger est l’auteur du livre Créez la tendance ! Du bouche à oreille au marketing viral, qui fait partie de la liste de best-seller du New York Times. Un très bon livre, que je vous recommande également.
Identifier une influence vous aidera à vous défaire de son emprise
Nous avons tendance à imiter les autres et à adopter leur point de vue. Beaucoup de gens souhaitent se démarquer d’une manière ou d’une autre, mais pas tout le monde. Les marques et les gens font beaucoup d’efforts pour se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas réellement, avec parfois des conséquences négatives. Les gens ont soit un immense désir d’être comme tout le monde, soit veulent aussi se différencier, soit ont besoin d’un équilibre entre ces deux opposés. Certains peuvent être la source d’une grande motivation ou d’une grande distraction selon la tâche à accomplir.
On a souvent l’impression que les gens qui nous entourent se laissent trop facilement influencer. Certains changent d’opinion à cause d’un tweet publié sur leur fil d’informations ou se mettent à suivre une tendance idiote, qui ne convient ni à leur silhouette, ni au climat de leur pays. Bien entendu, vous ne vous laisseriez jamais influencer aussi facilement … Mais en êtes-vous certain ? Nos pensées et nos comportements sont bien plus influencés par des forces et des facteurs externes, que nous ne voulons bien l’admettre.
Heureusement, vous pouvez apprendre à identifier cette influence invisible et même à l’utiliser à votre avantage. Nous allons voir ensemble pourquoi certaines personnes sont payées pour ne pas s’habiller (à noter qu’il ne s’agit pas de modèles nus) et de quelle manière un ouragan peut influencer le nom que vous allez donner à votre enfant. Avez-vous déjà réfléchi aux raisons pour lesquelles vous portez tels vêtements ou conduisez telle voiture ? La plupart des gens mettront ces choses sur le compte d’éléments objectifs comme le prix, le kilométrage ou encore le design, mais l’histoire ne s’arrête pas là. En réalité, nous sommes très facilement influencés par la pression sociale.
Beaucoup d’entre nous ont du mal à accepter que les autres aient un ascendant sur nous et pourtant, ce pouvoir est incontestable : il affecte nos actions, nos préférences et même l’opinion que nous avons de nous-même. Souvenez-vous de l’environnement dans lequel vous avez grandi : il a un impact profond sur vous, en raison d’éléments tels que la qualité des écoles dans le voisinage et des gens qui vous entouraient quand vous grandissiez. Si chaque enfant de votre quartier s’était moqué des geeks qui traînaient à la bibliothèque, imaginez à quel point cela aurait affecté de manière négative votre perception de la littérature.
L’être humain : un individu influençable
L’une des raisons est notre vulnérabilité à toutes sortes de facteurs subtils. Prenons par exemple une étude menée par le psychologue Richard Moreland de l’Université de Pittsburgh. Il a assigné quatre femmes considérées comme aussi attirantes les unes que les autres, à assister à un cours avec beaucoup d’étudiants et à se comporter comme des étudiantes normales. Les quatre femmes devaient assister respectivement à zéro, cinq, dix et quinze cours. À la fin du semestre, Moreland a donné des photographies des quatre femmes aux étudiants et leur a demandé de classer les femmes selon leur apparence. La majorité des étudiants ont eu une préférence pour la femme qui avait assisté à quinze cours, sans pour autant l’avoir jamais remarquée !
Pour faire simple, l’étude suggère que nous avons tendance à préférer les visages familiers : l’influence du milieu social est une force puissante à cet égard. Cependant, si vous en avez conscience, vous serez moins affecté. Un enfant ne pourra pas lutter contre l’effet de groupe généré par ses camarades qui détestent les geeks de bibliothèque, tant qu’il n’aura pas réalisé que ces derniers l’influencent. Une fois qu’il aura eu cette prise de conscience, il sera beaucoup plus difficile pour les autres de le faire changer d’avis aussi facilement. Face à ce genre de situation, il se demandera sûrement si les gens qui lisent sont vraiment des ringards. Il pensera sûrement ensuite à tous les scientifiques, ainsi qu’aux écrivains illustres et brillants qui lisent et se sentira encouragée à faire de même.
Les différences de comportement face à l’influence
L’effet de groupe
Maintenant que vous savez ce qu’il en est de l’influence du milieu social, est-ce que vous pensez toujours être une personne totalement indépendante ? Si c’est le cas, sachez que vous vous trompez : nous avons une fâcheuse tendance à adopter le comportement et les opinions de ceux qui nous entourent. L’une des raisons est la suivante : nous voulons gagner du temps, tout simplement. Imiter nous évite d’avoir à réfléchir par nous-mêmes. Toutefois, nous imitons également les autres à cause de la pression sociale.
Prenons par exemple, l’expérience menée par le psychologue Solomon Asch en 1951 : après avoir montré à des groupes de gens une carte avec une ligne d’une certaine longueur, ce psychologue leur demanda de trouver, sur trois cartes données, laquelle avait une ligne de la même longueur. Chaque participant fut ensuite appelé individuellement pour donner sa réponse en public. La réponse correcte aurait dû être évidente. Cependant, tous les participants, à l’exception d’un sur sept, étaient acteurs et avaient pour mission de donner une mauvaise réponse. Les seuls réels participants étaient appelés en dernier. Il ou elle se conformait à l’opinion des précédents et donnait une réponse qui était pourtant mauvaise de façon évidente.
L’imitation n’affecte pas seulement la logique. Un autre type d’imitation du même genre, appelée le mimétisme émotionnel, se produit lorsque nous observons une autre personne exprimer une émotion, comme par exemple : sourire. Des cellules dans notre cerveau, les neurones miroirs, se mettent en activité et nous font sourire aussi. Néanmoins, l’imitation explique aussi diverses formes de battage médiatique : même si les maisons d’édition et les producteurs veulent savoir si un livre, une chanson ou un film sera populaire ou non, il est quasiment impossible de le déterminer, en raison de la puissance de l’influence des autres.
Au cours d’une étude, des adolescents furent assignés à écouter des chansons d’artistes inconnus et à télécharger celles qu’ils aimaient. L’un des groupes de participants réalisa cette manœuvre sans influence extérieure, alors que le second groupe d’adolescents avait accès au nombre de téléchargements effectués. Le second groupe a eu tendance à graviter autour de chansons qui avaient été téléchargées de nombreuses fois par d’autres participants, démontrant ainsi que les participants s’influençaient mutuellement dans leurs choix. En revanche, les chansons populaires dans le premier groupe ont également eu du succès dans le second, indiquant également que la qualité était un facteur d’influence.
L’influence de l’origine sociale
Ainsi, ce que les autres pensent peut nous influencer de manière considérable, mais il existe également des circonstances dans lesquelles nous ne reproduisons pas le comportement des autres, c’est-à-dire que nous ne voulons pas toujours nous fondre dans la masse. Imaginez-vous fanatique d’un groupe que très peu de gens connaissent. Puis soudain, le groupe devient populaire et tout le monde les adore. Est-ce que cela vous agacerait ? Si c’est le cas, vous êtes peut-être un peu snob, mais vous n’êtes pas le seul.
La théorie économique traditionnelle établit que nous faisons des choix basés sur la qualité et le prix. S’il n’y pas d’influences extérieures, les gens suivraient les leaders et les influenceurs. Or en réalité, il y a d’autres facteurs qui entrent en compte : l’effet du snobisme, qui part du principe selon lequel, plus un grand nombre de gens aiment quelque chose, plus il y aura de gens qui auront tendance à s’en désintéresser. Ces personnes ne désirent pas seulement paraître différentes : elles veulent paraître mieux, plus intelligentes, plus riches ou plus sophistiquées.
Ce besoin de se différencier pourrait même expliquer la raison pour laquelle tant d’athlètes célèbres ont au moins un grand frère ou une grande sœur. Le premier né s’évertue souvent à avoir de bons résultats scolaires et le second, pour se démarquer, devient bon en sport. Même si beaucoup d’entre nous ont besoin de se démarquer, ce n’est pas le cas de tout le monde. En vérité, la mesure dans laquelle se distinguer compte pour vous est en fait liée au milieu dans lequel vous avez grandi.
Aux Etats-Unis par exemple, les gens ont un fort besoin de se distinguer, alors qu’une personne originaire d’Asie de l’Est se sentira, en moyenne, plutôt concerné par l’harmonie sociale et à l’interdépendance. Mais il y a aussi des différences au sein-même des Etats-Unis, en particulier quand on s’intéresse aux classes sociales. Ainsi, une personne issue de la classe moyenne aura un plus grand besoin de se démarquer, par exemple en possédant divers objets matériels, alors qu’une personne issue de la classe prolétaire aura plus tendance à vouloir imiter les choix des autres.
En vérité, les personnes issues de la classe prolétaire aimeront plus quelque chose, si beaucoup d’autres l’aiment aussi. Il est possible que ce soit lié au fait que, dans les communautés de la classe prolétaire, l’appartenance et la coopération ont plus de valeur que l’unicité.
Une volonté de se démarquer
Le côté pervers du désir de se différencier
Imaginez-vous qu’une marque vous propose de vous payer pour ne pas porter leurs vêtements ? Pourtant, cela a été le cas pour des célébrités telles que Mike Sorrentino, un personnage de l’émission de télé-réalité Jersey Shore sur MTV. En l’occurrence, Abercrombie & Fitch ont payé Sorrentino pour ne pas porter leurs vêtements, car il ne correspond pas à l’image bon chic bon genre de la marque. Prenons l’exemple de Burberry, dont le motif distinctif caractérisait l’homme qui le portait comme un gentilhomme distingué.
Cependant, de nos jours, cette connotation haut de gamme a été remplacée par une autre, bien différente : certains groupes de hooligans ont intégré le motif à leur tenue. En conséquence, Burberry a fait disparaître ce motif de la majorité de leurs lignes. Ainsi, prouver ce que vous n’êtes pas peut s’avérer aussi important que prouver ce que vous êtes. Parfois, les gens se desservent en essayant de le faire.
Un autre exemple : des études suggèrent que beaucoup de jeunes afro-américains, en particulier ceux dont la peau est plus claire ont tendance à avoir des résultats en-dessous de leurs capacités à l’école, dans le but d’éviter de passer pour des blancs ou « de jouer les blancs ». Ce phénomène, nuit à leur carrière. En tenant compte de ces faits, si vous désirez vous distinguer, il serait plus prudent de vous tenir à des biens matériels onéreux. Après tout, vous ne vous démarquerez pas en utilisant des produits dont tout le monde a besoin et que tout le monde peut se permettre d’acheter, comme du pain ou du papier toilette.
Par contre, les biens et les activités onéreux sont un bon moyen de se différencier, tant que les autres vous voient les utiliser ou les pratiquer. Il y a donc le fait même que tout le monde ne puisse pas se permettre d’acheter ces biens non essentiels, des biens exclusifs. Certains, comme s’acheter un yacht, ont une valeur monétaire, mais d’autres, comme prendre le temps d’apprendre le Breton ont une valeur temporelle ou encore une valeur en termes d’opportunités, comme par exemple risquer d’être inemployable en se faisant beaucoup de piercings.
Se différencier certes, mais de manière mesurée
Imaginez-vous qu’une sorcière maléfique vous a jeté un sort, et qu’à partir de maintenant, la seule chose que vous mangerez au petit-déjeuner sera des beignets au chocolat. Ça n’a pas l’air si terrible que ça, si ? Après tout, tout le monde aime les habitudes et le chocolat. L’être humain a tendance à préférer les gens et les choses qui lui sont familiers et ce, pour de bonnes raisons en termes d’évolution : être attiré par des gens qui nous ressemblent augmente nos chances de former des groupes soudés. De même, la nourriture familière, comme les beignets au chocolat sont un choix plus prudent pour assurer votre survie que ces drôles de champignons dans le jardin.
En réalité, ce besoin de familiarité est si fort que, sous la menace d’un ouragan, les parents donnent souvent à leurs enfants des noms qui commencent par la même lettre que celle du nom de la tempête, comme une famille de la Nouvelle-Orléans qui appellerait sa fille Kathy en référence à l’ouragan Katrina. Ces parents préfèrent ces noms tout simplement parce qu’ils ont été exposés au son de cette lettre de manière récurrente. Néanmoins, même s’ils recherchent ce qui est familier, les humains ont un immense besoin de nouveauté.
Comme tous les autres mammifères, nous sommes constamment à la recherche de nouvelles expériences. Par exemple, l’effet Coolidge décrit un mammifère, en l’occurrence un hamster mâle, qui perd tout son intérêt pour une femelle de la même espèce, après s’être reproduit avec elle à plusieurs reprises. Par la suite, quand une nouvelle femelle est introduite, le mâle devient fringant, excité par le potentiel d’une expérience nouvelle. La même réaction se produit chez les femelles, de manière moins puissante.
Malgré notre besoin de nouvelles personnes ou de nouvelles choses, nous aurons tendance à rester en alerte, jusqu’à ce que nous nous sentions en sécurité. Ce que nous recherchons est le juste milieu et ceci s’applique également à notre identité : nous voulons à la fois être familier et différent. Nous souhaitons tous, par exemple, être uniques dans nos cercles d’amis. Cependant, pour appartenir à ce genre de groupes, il faut en premier lieu être familier. Ainsi, vous allez vous démarquer de vos semblables en conduisant une voiture blanche, au lieu d’une voiture argentée, mais vous n’irez pas jusqu’à conduire un tracteur.
Les autres : source de motivation et de distraction
Pourquoi tant de gens adhèrent à des groupes pour atteindre certains objectifs, tels que perdre du poids ou se qualifier à des compétitions ? C’est souvent parce que les autres nous aident à obtenir de meilleures performances. Ils peuvent malgré tout nous distraire et l’influence des autres peut avoir un effet positif ou négatif en fonction de la complexité d’une tâche. Quand il s’agit d’accomplir une tâche relativement simple, nous travaillons mieux sous le regard de spectateurs, de concurrents ou de compagnons, puisque ces derniers stimulent notre motivation.
Vous serez par exemple plus enclin à rester fidèle à un régime, si quelqu’un surveille vos progrès. De même, vous courrez plus vite, si vous êtes en compétition avec une personne. Cependant, quand la tâche s’avère difficile et implique de l’apprentissage, la présence des autres peut affecter votre performance pour plusieurs raisons. Pour commencer, les autres peuvent être une source de distraction, soit parce que nous voulons faire bonne apparence au lieu de nous concentrer sur la tâche en cours, soit parce qu’ils nous impliquent dans des activités qui n’ont rien à voir avec notre objectif. Toutefois, la présence des autres vous rendra plus alerte physiquement. Votre corps sera prêt au combat, à la fuite ou au jeu, or aucune de ces actions ne vous aidera à résoudre une équation mathématique compliquée.
Vous pouvez également utiliser l’influence des autres pour les pousser à agir de manière différente, mais seulement jusque dans certaines limites. Par exemple, vous pouvez diminuer la consommation d’énergie des gens chez eux, en réveillant leur esprit de compétition. Dans une étude, ce dont les gens se préoccupaient le plus au sujet de la consommation d’énergie était de savoir s’ils en consommaient moins que leurs proches ou leurs voisins.
Il s’avère qu’il s’agit du meilleur moyen de motivation à ce sujet, bien plus que de sauver l’environnement, entre autres. Il faut quand même noter que cette stratégie ne fonctionne, que s’il y a un espoir de battre la concurrence. Ainsi, si un étudiant est à la traîne dans ses résultats scolaires, au point de n’avoir aucune chance de rattraper son retard, le comparer à ses camarades de classe n’aura que pour effet de le démoraliser un peu plus.
Conclusion
Même si nous n’en sommes pas conscients, le moindre de nos actes est influencé par les autres. Qu’il s’agisse de répéter ce que dit quelqu’un mot pour mot ou de faire l’exact opposé de ce qu’il fait, juste pour se différencier. Les autres guident toujours nos actions. La bonne nouvelle, c’est que plus nous comprenons cette influence, mieux nous pouvons la maîtriser. Une bonne méthode à appliquer est d’imiter son partenaire de négociation. La prochaine fois que vous êtes en négociations et que les choses ne se présentent pas comme vous le voulez, essayer d’utiliser le mimétisme pour gagner la confiance de l’autre. En vous calant dans votre chaise quand votre interlocuteur le fait, en vous grattant la tête en même temps que lui et en imitant de manière subtile son comportement, vous gagnerez sa confiance et lui donnerez l’impression qu’il est connecté à vous. Les négociateurs qui imitent le comportement de leur interlocuteur ont cinq fois plus de chances d’arriver à un accord acceptable. Qui d’entre vous a déjà mis en place cette stratégie pour conclure des ventes ou obtenir plus de prospects ?